Elle posa un pied impeccablement manucuré sur le sol.
Le grand carrosse noir, s'était arrêté, à quelques mètres de l'entrée du cimetière. Tout se fit lentement, silencieusement, respectueusement, comme la première fois, au ralentit. La musique retentissait à ses oreilles, amplifiée dans son crâne, comme si toute la réception se tenait intérieurement, en elle. Il faisait noir, il faisait froid.
Sa grande robe d'ivoire resplendissait dans la nuit. Son corps majestueux, comme enveloppé dans un nuage de soie, était sublimé par le bustier, le corsage, les dentelles, les perles. Ses petites mains de couturière avaient reproduit le rêve, grandeur nature, durant toute une année. Une seconde fois. Un second anniversaire de mariage.
Ses boucles brunes, sauvagement disciplinées, caressaient ses épaules nues, tandis qu'elle avançait, le port altier et la tête droite. Elle resserra son bouquet de lys contre elle, réajustant ainsi le voile noir qui couvrait ses cheveux. Elle battit des paupières, plusieurs fois, ses longs cils noirs chassaient le brouillard de larmes devant ses yeux. Sa bouche, rouge et pulpeuse, se crispa ; elle était à l'entrée du cimetière.
Elle luttait pour ne pas chanceler. Il fallait encore avancer, encore, jusqu'au bout de la plus longue des allées. Elle ne fit que murmurer quelques mots, et sa flasque d'alcool fort vint se placer au bord de ses lèvres, juste quelques gouttes. Elle but, reversant la tête en arrière sa gorge s'affolant au rythme de la descente du liquide brûlant, réchauffant tout son corps.
Elle se débarassa instinctivement de ses talons hauts, et en relevant sa longue robe éclatante, son bouquet toujours à la main, elle se mit à courir, sans un regard en arrière, comme si le mal en personne la poursuivait. Le choc de ses pieds nus contre la terre noire rompait le silence glacial dans lequel elle avait pénétré ; elle amplifia sa course, hargneusement, comme pour réveiller les morts de là dessous. Son grand voile noir, sa traine blanche, s'unissaient derrière elle, comme des liens invisibles qui la retenaient en arrière.
Elle finit par s'écrouler, hors d'haleine, sur la pierre grise et froide de son défunt fiancé, Callum Jude, qu'elle retrouvait, chaque année depuis sa mort. Ses ongles vernis crissèrent sur la tombe nue et sans inscription, ses yeux déversèrent les flots maintes fois retenus, et les sanglots qui lui déchiraient la poitrine, retentirent comme un cri de bête blessée, jusqu'aux Cieux.