Les sourcils de Gavin se froncèrent imperceptiblement alors qu'il suivait la scène d'un peu plus loin. Son oeil se refléta, énorme, dans son objectif, qui grava dans l'appareil photographique ces moments de paisibilité perturbée.

Il avait pénétré dans la sombre Obscaraes tout d'abord afin de recueillir sa précieuse eau salée, et certaines plantes choisies avec précaution dans les Jardins empoisonnés, mais surtout pour se recueuillir au Temple situé au centre de la ville. Il était passé plusieurs fois aux alentours, pour affaire (Il avait été chargé de prendre certains clichés des bâtiments des Mages Noirs), mais ne s'était jamais profondément intéressé à la quiétude du lieu.

Le jeune explorateur s'approcha encore avec discrétion en scrutant les "visiteurs" présents, il se doutait de quelque chose. Etait- ce un réglement de compte ? Il lisait précisément la tension dans les visages et les silhouettes inconnues autour du gamin essouflé. Sa cigarette au coin des lèvres, - biodégradable et non nocive -, tomba et s'écrasa sur le sol en même temps que le pauvre homme rudement malmené contre les murs de pierre.

Il se décida enfin à pénétrer dans le Temple, prenant de la vitesse, il ne voulait plus être simple spectateur. C'était un lieu sacré, tout de même !

- C'est quoi ce merdier ? entonna-t'il d'une voix blasée, son regard perçant balayant le Temple de plein fouet. Faut se calmer, les gars.

Il se heurta rapidement à un homme massif qui tenta sur lui le même sort qui avait projeté le corps quelques instants auparavant, sans succès ; ses articulations furent instantannément paralysées par les aiguilles de défense de Gavin.

Gavin suivait le petit qui jouait les gros bras du regard, avec un petit sourire narquois. Il était toujours agenouillé près de l'autre homme qui ne semblait plus vouloir réagir, et finit par s'intéresser à lui de plus près : ses yeux étaient clos, mais le Sorcier vert percevait nettement ses pupilles dilatées, démentes, qui bougeaient furieusement sous le rempart de ses paupières.

Les oreilles de l'aventurier, dressées, suivaient la confrontation des deux ennemis - plutôt un monologue puisque l'Ensorceleur persistait dans son mutisme - , mais il semblait préoccupé par autre chose. Il extirpa de sa poche arrière ce qui semblait être une ficelle végétale fragile, mais qui très vite, s'allongea d'elle même dans les paumes de Gavin, et se transforma en une longue liane robuste et flexible. Et en un rien de temps, il maitrisa le pauvre homme à terre en l'enroulant fermement autour de lui, le saucissonnant comme un pièce de viande.
Alors, à cet instant, il sortit précautionneusement son appareil photo de son sac en bandouillère, et en s'asseyant nonchalamment à califourchon sur sa victime, focalisa son objectif sur le visage inconnu.

« Et vous. Vous ne connaissez donc aucun de ces hommes ? »

Tiens, le gamin avait fini par se lasser d'interroger dans le vide, et cette question lui était donc destinée. Gavin ne tourna pas la tête, ni ne répondit immédiatement, concentré sur sa tâche, qui était en l'occurence de capturer à la perfection l'inertie dans les traits de l'agresseur piegé. C'était presque drôle.

- Non, et à vrai dire, ça ne changerait rien ; leur attitude était simplement inexcusable, déclara le photographe après qu'un silence tendu se soit installé.

Il pivota ensuite dans sa direction, et observa le jeune homme et la haine qui animait chacun de ses gestes, notamment en étant aussi proche d'un rival, un Ensorceleur. Il semblait vain de raisonner les Hommes, qui continueraient, encore des années et des siècles plus tard, à s'entretuer pour des territoires, ou encore la domination d'une « race » sur l'autre. Tout sourire avait à présent disparu de son visage, d'apparence neutre, mais sa mâchoire serrée qui brisait ses traits, et son teint mal rasé n'arrangeaient rien.

Gavin éclata d'un rire franc, qui résonna brutalement entre les murs de pierre du Temple. Sa machoire s'était desserrée instantanément alors qu'il inclinait légèrement la tête, dévoilant étonnament un sourire.

* Pas mal, le petit a de la répartie * se dit-il en l'observant.

- En réalité, j'pourrais identifier sans mal ces hommes, si celà m'interesserait, reprit le Sorcier après une pause. Avoir quelques informations.. Et savoir ce qu'ils faisaient là.

Le jeune homme se releva nonchalament et s'approcha de l'homme paralysé par ses soins, examina son visage, chercha une similitude, un trait familier.

Puis il abandonna bien vite, et s'adossa tranquillement à un coin du temple, en croisant les bras, attendant que l'autre fasse quelque chose, pose des questions, s'interroge, comme à l'ordinaire.

Gavin semblait avoir le regard fixé dans le vide, mais il suivait parfaitement la scène qui se déroulait à peine à quelques mètres près de lui. Il accompagna du regard la fuite de l'Ensorceleur et adressa un faible signe de tête au jeune homme lorsqu'il quitta les lieux, qui semblait avoir retrouvé son calme premier.

Ce n'est qu'à ce moment là, qu'il leva son bras au dessus de sa tête, et claqua des doigts, dans un bruit sec qui résonna dans tout le Temple ; quasiment instantanément la liane qui s'enroulait autour de l'autre hagard devint amorphe, le libérant de son étreinte, en retrouvant sa longueur originelle. Elle fut projeté en l'air dans un nouveau claquement sourd, et attérit dans la paume ouverte du Sorcier Vert. L'inconnu se relèva difficilement, encore sonné par toute mésaventure, et se dirigea en titubant vers la sortie, totalement désorienté. Gavin n'insista pas, ne chercha pas à savoir d'où il venait, ce qu'il faisait là, et surtout qui l'avait employé pour tenter de brutaliser le jeune homme. L'homme, sans un regard en arrière, s'évapora dans la nature, laissant les lieux enfin silencieux, comme le photographe l'avait désiré.

Celui ci s'assit alors en son centre, en tailleur, et sortit une minuscule feuille de papier à rouler, la lissa à plat de sa main sur le sol, et déposa une bonne poignée de tabac finement haché. Il s'affaira lentement, avec précaution, comme religieusement, à rouler sa cigarette, dans le calme le plus absolu. Il porta ses doigts à son visage, en respirant l'odeur enivrante qui émanait de ses mains. Alors, il sortit son briquet d'une poche de sa veste, et alluma le bout de sa cigarette, coincée entre ses lèvres fines, et inspira une longue bouffée de nicotine fraiche en s'allongeant. Il gardait les yeux fixés au plafond, en suivant du regard le cours des inscriptions qui y étaient gravés, en soufflant un nuage de fumée colorée.